jeudi 2 janvier 2025

Une nouvelle page s'ouvre

Tout d'abord le lien vers Art Culture France

https://www.galerie-artculturefrance.com/fr/47-marc-chiassai


Ensuite deux textes présentant mon travail

Pour commencer le magnifique texte d'Alain Freixe l'ami de toujours

 

Les chemins de la matière


 

« Il y a une chose qui importe plus en poésie que le sens, c’est la résonnance »

Marina Tsvétaïeva

 


 

D’ici, de mon jardin près de l’étang entre Canet, Saint-Cyprien et Saint-Nazaire, penser à Marc Chiassai, à son travail de sculpteur me fait faire un bond en arrière. Je remonte la têt, vire face au Canigou sur la droite, longe la Castellane, dépasse Molitg, Campôme, Mosset, les ruines de la Maison des Lumières, arrive au col de Jau, prend la piste de gauche, abandonne mon véhicule et finis à pied jusqu’à la carrière du Cailleau où longtemps, pour moi, le minéral et le végétal, la pierre verte et la plante aux fleurs roses, toutes deux blanchissant pareillement les eaux de la Castellane, et moussant, se mêlèrent. Stéatite et saponaire, savoir tardif.

C’est que la stéatite – et aussi la pierre de Caen - est une des pierres qu’aime à travailler Marc Chiassai. Je crois savoir pourquoi. C’est qu’en elle se tiennent et s’entretiennent, à partir de leurs différences et spécificités, cette harmonie grecque qu’aima la Renaissance italienne que notre toscan affectionne, harmonie des contraires comme contraires : tendreté et dureté, lisseté et aspérités, douceur des rondeurs et arêtes vives, source de possible beauté.

 

C’est cette aventure avec cette pierre qui m’intéresse car je la crois emblématique du travail tel que se le représente Marc Chiassai en interaction avec son expérience de l’écriture poétique.

J’imagine Marc Chiassai occupé à creuser cette pierre, à ouvrir ce qui l’enferme et finir par faire confiance à l’improbable. J’imagine sa traversée risquée d’un bord à l’autre du ravin qui sépare le projet vague et l’œuvre qui se fait de plus en plus dure, exigeante, à la main ! Traduire la séparation, disait André du Bouchet, voilà comment l’expérience poétique fait retour, lampe éclairant ce travail de sculpteur. Se risquer dans l’espace qui sépare une vague idée, un vague dessin et la logique de la pierre qui impose ses travers : fissures, fentes et refentes, failles, feuilletage et ce sont alors de nouveaux chemins qui s’ouvrent et qui font de l’œuvre un en avant, un fuir dans la blancheur de l’inconnu.

On le voit, c’est d’une aventure qu’il s’agit. Porter les mains sur cette pierre, comme sur la langue, c’est s’aventurer à travers veines et plis. En avant, la matière commande. C’est elle qui rend la main heureuse. Et elle est heureuse quand elle sait saisir ce qui pourtant va lui échapper. Main déportée, exode de pierre en pierre, de formes en couleurs et de couleurs en forme, comme de mots en mots quand le poème tire sur l’avant. D’impossibles saisies en saisies impossibles, c’est une main haute qui s’affirme quand la basse fait fond sur l’oiseau qu’elle poursuit et le tue au moment même où elle croit s’en emparer. Quelque chose crie dans la forme, quelque chose s’en va, quelque chose qui en faisait la vie même. Vers d’autres pierres.

J’aime que comme pour la poésie, ici voir, ce soit entendre. Car il s’agit de fermer les yeux et d’écouter la pierre. Il s’agit ici de travailler à l’oreille. Voir l’intérieur de la pierre en jouant de la gradine et tendre l’oreille vers la résonnance de chaque coup porté par le taillant. A son mat, étouffé et sourd, grande faille ; à son éclatant, luisant : petite faille. A suivre. A poursuivre. Aller dans son sens pour éviter qu’elle ne s’ouvre. Ainsi s’inventent les chemins d’une remontée, d’un retour.

C’est le chemin des fantômes. Comme si en manque de corps, un fantôme cherchait figure. Frère de l’ombre et du reflet, le fantôme incarne ce trait de l’œuvre qui ajointe l’invisible au visible. Comment capturer dans le monde des apparences ce fantôme ? Telle est la question que pose Marc Chiassai quand il se collette avec la matière pour dire l’enfoui en soi, l ‘impossible de soi, l’insaisissable devant soi. Ce plus singulier qui résonnera ensuite en tous.

 

Peut-être vous faudra-t-il lâcher tous vos périmètres conquis, osez-le ! Ainsi vous lancerez-vous au cœur des équilibres et laisserez glisser vos regards sur ce qu’est devenue la pierre, ce quelque chose qui tient dans un rythme. Sur les veines couleur de lune, tendues, votre œil funambule passera de l’autre côté. Du côté du vide où bat toujours de la vie. En formation.

 

 

Alain Freixe

Canet-Plage, 03-06 août 2014

 

 

Enfin la recension de Giulia Sillato me concernant, vous trouverez sur le site de la fondazionne Guilia Sillato le concept du Metaformismo


Marc Chiassai, un sculpteur singulier

Peu de traces de la sculpture contemporaine dignes d’intérêt subsistent dans la production mondiale depuis qu’ont fait leur entrée dans les habitudes les plus communes de la pratique artistique cette tendance anglo-saxonne et nord-américaine, que j’appelle « sauvage », qui consiste à donner le statut d’œuvre artistique à n’importe quel objet.

Il suffit de penser au cas planétaire de Damien Hirst, de Bristol en Angleterre, estimé comme étant l’artiste le plus riche du monde : il n’a rien su faire d’autre que de nous présenter une série de lugubres aquariums de formol contenant des carcasses d’animaux, mais, pour cette provocation (à une époque où la provocation devrait être considérée comme désormais amortie), il truste les premières places dans les classements de vente des études de commissaires-priseurs les plus renommées mondialement…, bien sûr tout cela grâce à un ami, célèbre collectionneur d’Art et publicitaire.

Face à ces «expressions » d’un prétendu «art Contemporain », astucieusement mises en scène par les médias, on se dit que la Sculpture, la Peinture, cette dernière par ailleurs pratiquée, et sans imagination particulière, par ce même Hirst, sont exposées au risque d’être ravalées à des rangs inférieurs, même si on n’en comprend pas la raison, aux yeux des collectionneurs et des galeristes mais surtout des Institutions complices de ce jeu d’intérêt et, chose assez grave et alarmante, qu’on ne peut s’approcher du Panthéon des Arts que si l’on a des connaissances particulières, lesquelles permettraient de mettre en œuvre n’importe quelle folie laquelle serait prise au sérieux, tellement au sérieux au point de rapporter des millions de dollars.

Un tel tableau d’ensemble, maintenant tristement consolidé, jette malheureusement une ombre sur les vrais auteurs de la pratique picturale et sculpturale qui, loin de cloner les modèles d’un passé, par ailleurs récent, s’orientent dialectiquement vers lui en le régénérant par des apports d’une réelle originalité, en allant au-delà de leur propre recherche artistique. Mais dans la mesure où ils n’élaborent pas des pièces hollywoodiennes, ils ne s’adressent pas à d’habiles managers qui y voient la possibilité de gains substantiels, ils sont destinés au silence… au silence de l’ignorance. C’est ainsi que l’Art est écrasé par le pouvoir : non pas le pouvoir politique, mais par un pouvoir supérieur : celui de la publicité.

Aujourd’hui la communication globale permet de penser aux rivages anglais et américains en les considérant comme étant situés à une distance relative … même par rapport à moi qui exerce la profession de critique d’Art en Italie, attirée, et qui ne suis attirée que, seulement par un Art… qui soit un Art vrai et qui puisse se transmettre indifféremment par une peinture, une sculpture, ou même par un ensemble d’éléments, à condition que ces derniers soient produits par une authentique force créative et non par une mise en place publicitaire.

En regardant mieux, au cœur de la vieille Europe et aussi en Italie –pourquoi pas ? - mon sain esprit critique, soutenu par l’expérience, mais surtout par la connaissance, n’a pas tardé à cerner des réalités artistiques d’un charme insoupçonné, même si elles sont encore formellement motivées par une manière traditionnelle… et même, justement parce qu’elles sont traditionnelles, enracinées, comme l’acte de peindre ou de sculpter, tellement et éternellement actuelles au-delà des modes et des courants.

C’est le cas de Marc Chiassai, singulier sculpteur de la très belle pierre de Caen qui, tout en étant né à Nice a de significatives origines toscanes et, aujourd’hui vit et travaille justement à Caen en Basse-Normandie, Chiassai, en bon italo-français, ne peut pas ne pas être ancré dans cette modernité, et donc encore actuelle, concept de la sculpture comme expression d’une seule plastique d’une pure plastique, exactement comme le démontra Henry Moore, lui aussi anglo-saxon du Yorkshire.

Deux modèles anglais face à face, Moore et Hirst, tous deux séparés de Chiassai par les seules plages côtières de la Manche, le premier représente l’Art Européen tel qu’il évolue depuis à partir de Modigliani, Picasso, Brancusi, le second plus proche de nous dans le temps, nie toute forme de transmission temporelle, saute par-dessus l’héritage cubiste, qui a investi depuis des décennies le cœur de l’Europe, subvertit les canons de l’Art et par des performances audacieuses en détruit l’identité culturelle universelle.

Le choix que peut avoir fait Chiassai, porté à maintenir une position plus française, donc plus conservatrice, en plus de provenir d’une Histoire de l’Art de tradition séculaire, celle de la Renaissance toscane, constitue le choix le plus juste, rester fidèle à l’Art en en respectant les canons, les principes et les méthodes.

Cela ne signifie pas que l’artiste s’exprime en termes démodés, ou pire encore, déjà vus : je veux faire comprendre que le fait de suivre la ligne Brancusi – Moore, depuis les côtes de Caen, n’est pas en réalité si aussi escompté convenu et c’est encore moins un indice de manque d’originalité.

Qu’est-ce que l’originalité en effet ? Hirst poursuit la nouveauté, pas l’originalité : « nouveau » n’est pas un synonyme d’»original ». Hirst s’exhibe avec excentricité : « excentrique » n’est pas un synonyme d’»original ».

On peut être original et novateur même si l’on se contente de relire en relisant les modèles avec sa grille personnelle, pas nécessairement et les chevauchant pour les cantonner dans un grenier plein de toiles d’araignées : c’est en fait la sensation que veulent produire certaines formes «artistiques » à la mode, la sensation que l’Art ancien du Peindre et du Sculpter ont définitivement plongé dans un profond sommeil… duquel pourtant toutefois ils peuvent toujours sortir.

Chiassai respecte la tradition sans être traditionnel, il insère une grille de lecture personnelle et singulière qui fait se rejoindre le classicisme italien – l’emploi de la pierre de Caen évoque le marbre blanc toscan – et le Cubisme français, relu dans ses divers périples européens, fusion accomplie par le biais d’une intersection minimaliste qui éclaire les surfaces blanches et polies de la pierre normande.

Délicate et légèrement poreuse, la pierre de Caen exalte une histoire séculaire de l’inspiration artistique : pensons à la majestueuse Cathédrale de Westminster, réalisée entièrement avec la même matière.

Plans fuyants sous la lumière, situés de telle façon qu’on ne peut en observer qu’un à la fois, arêtes arrondies à la recherche d’une harmonie éternelle, formes à la géométrie douce, musicales à la vue, l’homme au centre du thème, exactement comme dans la pensée classique («l’Homme au centre de l’Univers »)… Et bien d’autres mystérieuses conquêtes esthétiques et conceptuelles… Mais nous aurons l’occasion d’en reparler parce que Marc Chiassai a une particularité : dans sa recherche de l’essentiel, il est inépuisable


G i u l i a  S i l l a t o

Traduction : Vincent D’Orlando.

Verona, 11 Marzo 2009

 

G i u l i a S i l l a t o Storico dell’Arte di scuola longhiana www.giuliasillato.it